Liberté éducative en péril au Québec
« La grande majorité des parents qui font l’enseignement à la maison avec leurs enfants s’acquittent de cette tâche avec brio. Ces changements ne les affecteront pas. »
Monsieur le ministre, vous avez tout faux!
Ces changements mineront la réussite éducative de la majorité des enfants éduqués à domicile. Des milliers d’enfants verront leur quotidien mis sens dessus dessous sans raison valable!
Raisons de faire l’éducation à domicile
Il y a autant de raisons de faire l’éducation à domicile qu’il y a d’enfants qui le font. Pour certaines familles, c’est tout simplement un choix de vie; pour d’autres, cela se présente suite à une recherche de solution à des problèmes précis vécus par les enfants; d’autres encore, en lien avec un désillusionnement face au système actuel; et plusieurs autres le font en réaction à une situation de crise (ex. harcèlement ou tendance suicidaire) afin d’assurer la sécurité physique et psychologique de l’enfant. Parents et enfants y voient plusieurs avantages, entre autres, un parcours personnalisé, la possibilité de s’adapter à la personnalité, aux besoins et au rythme de l’enfant.
La Commission parlementaire de 2017
L'ancienne loi, celle qui avait cours avant juillet 2018, était parsemée de zones grises. Cela a donné lieu à plusieurs abus de la part de certaines commissions scolaires envers les parents-éducateurs. L’avènement des modifications à la loi et l’apparition d’un règlement n’ont pas fait que des heureux, bien sûr, puisque cela venait resserrer les règles entourant l’éducation à domicile plus que tout autre province au Canada. Toutefois, dans l’ensemble, la mise en application et celle de son règlement a permis une application plus uniforme de la loi à travers le Québec.La loi et le règlement actuels
Droits des parents
Le Code civil du Québec (article 599), la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (article 26, paragraphe 3) et la Déclaration des Droits de l’Enfant des Nations Unies (principe 7) donnent tous trois aux parents la responsabilité et la priorité à choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants.
Des obligations
Il est clair dans le règlement et la loi actuellement en cours que le cheminement à la maison peut être bien différent du programme dispensé à l’école, pourvu qu’il fournisse à l’enfant « des activités variées et stimulantes visant l’acquisition d’un ensemble de connaissances et de compétences » et les moyens de progresser.
Quelles sont ces connaissances et compétences? Le règlement stipule que le projet d’apprentissage doit décrire les ressources éducatives qui seront utilisées pour l’apprentissage de la langue française, d’une autre langue, de la mathématique et d’au moins une matière ou discipline appartenant à chacun des domaines d’apprentissage suivants : mathématique, science et technologie, arts, développement de la personne et univers social.
Les parents-éducateurs ont de nombreux comptes à rendre au ministère :
- Envoyer un avis écrit au ministre et à la commission scolaire compétente ;
- Créer et envoyer un projet d'apprentissage au ministre;
- Faire un état de situation et bilan de mi-parcours ;
- Participer à une rencontre de suivi ;
- Faire évaluer la progression de l’enfant annuellement ;
- Faire un bilan de fin de projet.
Des clauses abusives
Si vous avez quelques heures libres, vous pouvez vous plonger dans les vidéos et documents publiés par les experts qui ont défilé durant la commission parlementaire, dans la lecture de la loi, les changements qui y ont été apportés et les clauses qui ont été mises en vigueur dans la Loi sur la protection de la jeunesse également. Vous pourrez y trouver certaines clauses qui font maintenant des parents-éducateurs des criminels potentiels, jugés coupables de négligence éducative sans même pouvoir se défendre pour le seul crime de ne pas avoir envoyé un document au gouvernement. Même en droit criminel, l’accusé est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire.
Également, vous pourrez y lire une mention pour protéger les renseignements personnels des sans-papiers voulant aller à l’école. Toutefois, rien n’est fait pour protéger les renseignements personnels des enfants ayant la citoyenneté canadienne souhaitant être éduqués à domicile. Au contraire, on y permet le croisement de données avec la RAMQ pour débusquer les familles qui ne se seraient pas inscrites. Partager des informations entre les institutions gouvernementales en l’absence d’un consentement de la part des familles concernées est une atteinte à la vie privée de tous les élèves québécois ainsi que de leurs familles.
Si vous n’avez que quelques minutes, continuez votre lecture sur cette page...
Le projet de modification du règlement
proposé par le ministre de l’Éducation Jean-François RobergeMonsieur Roberge souhaite précipiter un nouveau règlement alors que l’autre n’est en application que depuis quelques mois. On balaie ainsi du revers de la main un règlement nouvellement en application dont il nous est encore impossible de connaître les résultats.
À une loi déjà très restrictive, on souhaite ajouter encore plus de contraintes. De façon résumée, le nouveau règlement proposé par Jean-François Roberge impose aux parents-éducateurs l’obligation de reproduire exactement dans leur maison ce qui se passe à l’école.
Le règlement qu’il souhaite voir mettre en application dès juillet 2019 prévoit notamment :
- l’imposition des programmes d’études établis par le ministre;
- la présence obligatoire des enfants lors des rencontres de suivi;
- la passation des examens ministériels.
Les enfants éduqués à domicile baignent dans un contexte éducatif et suivent un parcours différent de celui de l’école. Le programme de formation de l’école québécoise est une façon parmi tant d’autres d’obtenir une éducation de qualité. Les experts qui ont défilé durant la Commission parlementaire de la culture et de l’éducation en 2017, orthopédagogues, chercheurs en éducation et autres organisations, ont bien expliqué qu’on ne pouvait pas reproduire le même modèle d’encadrement avec les enfants éduqués hors institution.
Resserrer les règles concernant l’éducation à domicile ferait du tort à tous, au progrès au sein même des institutions éducatives, aux intervenants qui y oeuvrent, aux parents-éducateurs, à l’implantation de tout projet d’école démocratique au Québec. Ils nuisent à tous ceux dont la vision pédagogique est centrée sur l’enfant plutôt que sur le contenu.
L’imposition des programmes d’études établis par le ministre
Chaque enfant est unique et à la maison, il est possible et souhaitable de suivre les intérêts, le rythme et les besoins de chaque enfant. Avec les modifications au règlement, les parents-éducateurs n’ont plus de souplesse pour s’adapter à l’enfant. Plusieurs approches novatrices utilisées par les parents-éducateurs seraient maintenant prohibées advenant l’application du nouveau règlement. Il ne resterait qu’une seule voie possible : le programme prescrit par le ministère.
D’ailleurs, le Programme de formation de l’école québécoise n’est pas un gage de réussite. Le Québec est la province avec le plus bas taux de diplomation sur cinq ans au Canada. Seulement 64% des jeunes Québécois qui fréquentent une école publique réussissent à obtenir un diplôme « dans les temps requis ». On ne peut pas justifier l’imposition du système d’éducation public à tous les enfants du Québec, qui plus est, lorsque la performance de ce dernier laisse visiblement à désirer.
Les méthodes utilisées par les parents-éducateurs sont variées et efficaces : approche par thèmes, par projets, par les jeux, Montessori, Freinet, Waldorf ou Steiner, Charlotte Mason, apprentissage naturel (unschooling) ou éclectique. Par ailleurs, toutes les recherches scientifiques effectuées à ce jour par rapport aux enfants éduqués à domicile sont favorables au plan académique et social.
Avec les modifications apportées aux règlements, des méthodes comme l’apprentissage naturel ou le unschooling deviennent pratiquement interdites. Pourtant, on sait que les grandes universités américaines, comme Harvard, vont aller jusqu’à faire du démarchage pour cibler les parents qui font du unschooling. Ils souhaitent la venue de ces enfants dans leur établissement, car ils sont généralement motivés et créatifs. Il est nocif et irréfléchi d’empêcher des méthodes d’apprentissage alternatives qui ont fait leurs preuves et qui sont en demande dans les universités prestigieuses.
La passation des examens ministériels
Dans la recherche sur l’éducation, les examens sont très critiqués. À cet effet, le Conseil supérieur de l'éducation (CSE), organisme consultatif chargé de conseiller le Ministère de l’éducation du Québec, soutient que « [...] la note, qu’elle soit un chiffre, une couleur ou une lettre, n’est pas en soi une mesure et elle ne fournit que peu d’information [...] elle est un point de repère commode qui permet des comparaisons faciles et qui peuvent devenir stigmatisantes, mais elle ne dit rien des acquis concrets ou des difficultés particulières d’un élève (Hadji, 2015) ». Par ailleurs, les écoles alternatives ne choisissent pas les examens comme moyen d’évaluation des enfants. Le portfolio est un moyen d’évaluation qui montre davantage un portrait global des connaissances et des compétences des enfants.
On peut comparer les examens à une photo prise dans un moment précis avec un angle précis. Quelques petites questions choisies peuvent difficilement faire un bon bilan des apprentissages réalisés par un enfant. L’enfant était-il fatigué ou inattentif cette journée-là? A-t-il acquis beaucoup de notions qui n’ont pas été ciblées par l’évaluation proposée? Est-ce que les notions resteront gravées dans sa mémoire ou bien les a-t-il apprises dans le but de s’en débarrasser sur la feuille et ne plus jamais y penser par la suite? Le neurobiologiste Gerald Hüther l'explique d'ailleurs clairement dans ses travaux : « le cerveau ne se développe que là où il est utilisé avec enthousiasme ». L'enfant n'apprend réellement que lorsque cela a un sens pour lui. Les apprentissages mécaniques et obligatoires sont vite oubliés.
Et ces mêmes examens, si on les faisait passer à n’importe quel adulte qui n’est pas enseignant à ce niveau, les réussirait-il? La plupart des adultes passés par le système scolaire ne pourraient pas se souvenir de la majeure partie des notions qu’on leur a enseignées dans l’enfance.
Pour un enfant en pleine croissance, en pleine formation, en pleine construction de lui-même, les examens font souvent des dommages. D'ailleurs, le CSE mentionne dans son dernier rapport sur les besoins en éducation que l’éducation doit non pas être un concours à remporter par les plus forts, mais plutôt une course de fond à terminer chacun à son rythme. Ils ajoutent également que c’est généralement l’évaluation des apprentissages qui trace la ligne entre les gagnants et les perdants. L’évaluation aurait un rôle de tri social qui n’est pas favorable à la réussite scolaire, puisqu’elle mine l’estime de soi et favorise la compétition entre les enfants.
De plus, contrairement à comment cela se passe dans la vraie vie, la note sur le bulletin ne donne pas possibilité d'amélioration. On ne peut pas décider d’améliorer le travail, de faire mieux, de revenir sur ladite note et la rehausser. Elle est imprimée à jamais sur le papier. Ça déçoit. Ça ne suscite pas la motivation. Ça rudoit l’estime.
En contrepartie, à la maison, lorsqu'on fait un projet, il est toujours en constante amélioration, jusqu'à ce qu'on le trouve satisfaisant. On fait appel à l'auto-évaluation non imposée, à la persévérance; les enfants sont capables de reconnaître leurs forces et difficultés, sont en mesure de décider si oui ou non ils sont satisfaits d’un travail.
La présence obligatoire des enfants lors des rencontres de suivi
L’enfant à l’école n’a pas à être présent lorsque deux professionnels discutent de son cas dans le cadre scolaire. Il faut admettre qu’il y a une différence entre un enfant qui se présente chaque jour à l’école et un enfant qui se présente en terrain inconnu devant des personnes inconnues pour être interrogé et évalué. Les parents-éducateurs déplorent le fait que l’enfant entendra et verra ce qui se dit sur son cas, sur ses difficultés, sur son parcours. Il en va de la confiance de l’enfant en lui-même.
Le ministre dit souhaiter par ces rencontre avoir accès aux enfant pour détecter les troubles d’apprentissage. Les parents-éducateurs ne voient pas d’un bon oeil ces rencontres qui deviennent alors une évaluation de l’enfant et non de sa progression. Est-ce un manque de confiance envers les parents-éducateurs au Québec? Les parents-éducateurs doivent être considérés d’emblée comme ayant la réussite de leurs enfants à coeur. On doit reconnaître la motivation et les efforts qu’ils font pour l’éducation de la prochaine génération de citoyens québécois.
Manquements dans les agissements du ministère de l’Éducation?
La Table de concertation nationale en matière d'enseignement à la maison
La Loi 144 prévoit la constitution de la Table de concertation nationale en matière d'enseignement à la maison dans le but de poursuivre l’élaboration et la mise en oeuvre du cadre normatif de ce mode alternatif d’instruction d’une façon harmonieuse et adaptée.
Malgré ce fait, en septembre, le ministre a suspendu de façon indéfinie la Table de concertation qui avait été mandatée afin de donner son avis sur les orientations en matière d’enseignement à la maison. Pourtant qualifiée d’important forum-conseil, la Table de concertation n’a pas été consultée avant la proposition de changements au règlement
Une importante fuite de données confidentielles
Le Devoir a pu consulter une série de projets d’apprentissage rédigés par des parents qui font l’école à la maison. On peut y lire que seulement 1,6% des projets d’apprentissage ne remplissaient pas les critères demandés. On peut également y lire des critiques concernant la mise en forme et le format d’une minorité de documents envoyés.
Par ailleurs, les documents transmis au ministère de l’Éducation et aux commissions scolaires concernant les dossiers des élèves se doivent d’être confidentiels. Ils ne doivent pas être utilisés pour salir et entacher la réputation des parents-éducateurs. Comment un journaliste a-t-il pu avoir accès à ces documents? Nous attendons toujours les réponses. Il est certain qu’il y a bris de confiance entre les acteurs chargés de faire le suivi des dossiers des enfants éduqués à domicile et les parents-éducateurs.
Conclusion
Considérant que la peur qu'un enfant souffre de négligence éducative n'est basée sur aucune statistique ou fait en ce sens. Considérant que ce n'est pas un problème de société. Considérant que toutes les recherches scientifiques effectuées à ce jour par rapport aux enfants éduqués à domicile sont favorables au plan académique et social. Considérant que sur le plan physique et affectif, les résultats sont tout aussi remarquables.
Considérant que la flexibilité du programme éducatif dispensé à la maison, la possibilité de s’adapter facilement à chaque élève et que le ratio enfant/adulte très bas, la possibilité de vision à long terme pour atteindre des objectifs ou réaliser des projets sont des facteurs jouant en faveur de l’apprentissage en famille. Considérant que même une fois adultes, la plupart d’entre eux sont plus heureux et plus satisfaits de leur emploi et de leur vie que les Canadiens du même âge… Pourquoi tant contraindre les familles québécoises ayant fait ce choix pour l’éducation de leurs enfants?
Le gouvernement se doit de reconnaître les parents-éducateurs comme des membres contribuant au développement de la nouvelle génération qui sera la relève de demain de la nation québécoise. Ils doivent être perçus comme offrant une option éducative de plus, une autre façon de permettre aux jeunes de développer leur potentiel, pas comme une nuisance à contrôler. Mentionnons que l’Ontario et la Colombie-Britannique n’exigent aucun suivi par défaut des familles éducatrices.
Monsieur le ministre, prenez le temps de rencontrer et de discuter avec les familles faisant le choix de l’éducation à domicile. Vous découvrirez des parents présents, impliqués et complices du développement du plein potentiel de leurs enfants, des projets pédagogiques éclatés et variés, des familles passionnées et passionnantes, mais surtout des enfants heureux et épanouis.